Madame la Ministre,

Le décès d’un jeune de 23 ans constitue évidemment un drame et un événement que nous regrettons, au vu des circonstances.

Madame la ministre, si je me permets de vous interroger aujourd’hui, c’est simplement parce que c’est un événement qui, nous l’espérons, ne se reproduira plus. Nous sommes dans un contexte tendu. Pas plus tard que la semaine dernière, nous parlions dans cette commission du lien qu’il fallait recréer et de la confiance qu’il fallait rétablir entre le citoyen et nos forces de l’ordre. Ce genre d’événement dramatique constitue une faiblesse par rapport à ce que nous essayons de construire ici, ensemble, au sein de cette commission.

Nous faisons le choix cet après-midi de mêler deux débats: un événement dramatique survenu le 9 janvier et une manifestation avec des actes violents qui s’en est suivie le 13 janvier. Évidemment, si nous mêlons les deux débats, nous pouvons aboutir sur un terrain glissant et vouloir justifier le deuxième par le premier, et inversement. J’espère que mes collègues feront bien la distinction entre ces deux événements et ne les lieront pas trop facilement, en victimisant les uns ou les autres.

Madame la ministre, ce que j’attends de vous, aujourd’hui, c’est que vous nous disiez quels sont les contacts que vous avez pu prendre dans le cadre de ce dossier et que vous nous éclairiez sur les éléments dont nous disposons déjà. La presse divulgue des informations chaque jour et certaines choses se contredisent. Nous devons évidemment prendre ces informations de manière très prudente.

Ce qui m’interpelle également, et nous avons déjà pu en parler, c’est que ces dernières semaines, il y a eu un cumul d’événements. Tous ont un point commun, c’est le fait de filmer les policiers. Cela créée visiblement de nombreuses tensions lors des interventions policières.

Madame la ministre, comment mettre fin à ce type de comportements? Comment nous assurer qu’aucun policier n’essaiera plus d’empêcher un citoyen de le filmer? Quelles sont les sanctions applicables à des policiers qui refuseraient d’être filmés? Ce genre d’événements nous montre une fois encore l’intérêt des bodycams. Pourriez-vous nous rappeler, une fois pour toutes, ce qu’il en est concernant le droit de filmer les policiers ?

Peu importe le camp d’où elle vient, la violence doit être condamnée. Nous en avons encore eu un exemple pas plus tard qu’hier : une autre personne est décédée dans une cellule de la zone de Bruxelles-Capitale-Ixelles et nous attendons que l’enquête puisse nous éclairer sur les circonstances de ce décès. Je crois que nous devons utiliser ces incidents dramatiques pour avancer ensemble sur la manière dont nous devons former nos policiers, dont nous devons informer les citoyens, et dont nous devons rétablir un véritable lien de confiance entre les citoyens et nos forces de l’ordre.

Ces événements s’accumulent, probablement aidés par la crise sanitaire. Madame la ministre, j’aimerais que vous puissiez aujourd’hui faire toute la transparence sur ces regrettables incidents et répondre à toutes les questions que se posent mes collègues ainsi que moi-même.

D’avance je vous remercie pour vos réponses,

Julie Chanson

Réponse de la Ministre Verlinden du 20/01/2021

Je renvoie en premier lieu à la réponse que j’ai déjà donnée la semaine dernière en séance plénière. Je profite par ailleurs de l’occasion pour présenter une nouvelle fois mes condoléances à la famille et aux amis de la victime.

Les émeutes en question ont été précédées d’une manifestation pacifique et statique devant le commissariat de police où Ibrahima Barrie est décédé la semaine dernière. La manifestation a été organisée à la demande de sa famille et avait été autorisée, sur la base de l’article15 de l’arrêté ministériel portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus covid-19, par le bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode. Cette décision relève de sa responsabilité. Je ne suis même pas l’autorité de tutelle en la matière. Grâce au service d’ordre interne, la manifestation s’est déroulée pacifiquement, mais elle a dégénéré une fois terminée. Lorsque j’en ai eu connaissance, j’ai demandé au bourgmestre et au chef de corps des informations sur les circonstances du décès et sur la formation de la manifestation.

Je ne peux pas donner de détails concernant l’incident du 9janvier à la gare du Nord, qui a coûté la vie à Ibrahima Barrie. Le Comité P mène une enquête sous la direction du ministère public, des preuves ont été rassemblées et la zone de police concernée, à savoir celle de Bruxelles-Nord, collabore de manière constructive à cette enquête. Nous ne savons pas encore quand l’enquête sera terminée. Dans l’intérêt de l’enquête, nous nous devons respecter scrupuleusement le secret de l’instruction.

La semaine dernière, j’ai immédiatement indiqué que ces émeutes étaient totalement inacceptables et qu’elles constituaient un manque de respect flagrant vis-à-vis de la personne décédée et des appels au calme lancés par la famille.

L’événement a été préparé dans le cadre d’une structure de commandement unique. Les différents services opérationnels des zones impliquées, ainsi que la police fédérale, se sont réunies. Un dispositif intégré avait été mis en place. Neuf pelotons d’intervention ont été mobilisés, appuyés par deux arroseuses de la police fédérale. En cours d’opérations, deux pelotons supplémentaires de la réserve fédérale ont été engagés, avec chacun une arroseuse.

Il a été procédé à 112 arrestations administratives –30 mineurs d’âge sont concernés –et à 4 arrestations judiciaires. J’ai insisté auprès du ministre de la Justice pour que les poursuites interviennent rapidement. L’on déplore quinze blessés parmi les forces de l’ordre, dont une policière touchée grièvement. Son état évolue heureusement favorablement et elle bénéficiera évidemment de l’assistance nécessaire. Je ne puis également pas préjuger en l’occurrence des conclusions de l’enquête de l’Inspection générale (AIG).

Je me constituerai partie civile au nom de la police fédérale et j’ai invité les bourgmestres de Bruxelles-Ville et Saint-Josse-ten-Noode à évaluer la possibilité d’agir de même pour les membres de leurs corps de police respectifs.

Je continue de me concentrer par ailleurs sur le renforcement de la fonction de police orientée vers la communauté dans le cadre de la formation et du fonctionnement de la police et je mise également sur des projets visant à rapprocher les membres de la police et la jeunesse. Je crois fermement en la prévention même si elle n’apporte pas de réponse absolue à de tels incidents.

Filmer une intervention policière n’est une infraction que lorsque les images sont publiées sans finalité journalistique. Cependant, l’Organe de contrôle de l’information policière (COC) a indiqué que le fait de filmer pouvait être punissable dans certains cas. Il estime que celui qui filme le policier doit démontrer un intérêt légitime au moment où les images sont filmées.

À défaut, la personne qui filme s’expose à une sanction pénale. Le COC se base sur un arrêt du 14 février 2019 de la Cour de justice européenne. Si le fait de filmer peut nuire à l’intervention policière ou perturber l’ordre public et qu’il est demandé d’arrêter de filmer, il faut obtempérer.