Madame la Ministre,
Depuis bientôt deux semaines, l’inspecteur Eric Claessens a entamé une grève de la faim afin de protester contre sa révocation de la police sans droits à la pension : la plus lourde sanction disciplinaire pouvant être infligée à un fonctionnaire de police.
De quoi est-il coupable ? D’avoir osé dénoncer, auprès de sa hiérarchie, des collègues qui avaient emmené un homme ivre dans le local vide d’une station de métro afin de le passer à tabac. Depuis, Eric Claessens fait l’objet de menaces, de harcèlement et d’abus, dont un refus de ses collègues de lui venir en renfort lors d’une intervention, dont l’inspecteur est ressorti gravement blessé.
Eric Claessens est loin d’être le seul fonctionnaire de police à faire l’objet de représailles pour avoir brisé l’omerta qui règne au sein de la police. La police fédérale belge a d’ailleurs récemment mis sur pied un « service de confiance », assuré par des policiers et chargé de recueillir les témoignages et plaintes des policiers confrontés à des violences ou des abus commis par leurs collègues.
Ce service d’aide semble cependant voué à l’échec : comment les policiers lanceurs d’alerte craignant des représailles pourraient-ils se confier à un groupe constitué de collègues policiers ? Et comment ce service pourrait-il efficacement recevoir des plaintes et mener des enquêtes sur les policiers fautifs, quand la loi du silence au sein de la police semble si installée ?
Madame la Ministre, mes questions sont donc les suivantes :
– Des policiers ont-ils déjà eu recours au service de confiance récemment mis en place ? Le cas échéant, quelles sont les conclusions de ces premiers essais ?
– L’inefficacité de ce service étant à craindre, la création d’un organisme indépendant (tel que l’IOPC en Grande Bretagne) semble être une solution à envisager. Cette piste est-elle à l’étude ?
– Quelles mesures concrètes entendez-vous adopter afin de remédier aux abus dont est actuellement victime l’inspecteur Claessens, ainsi qu’à la révocation qui a été décidée à son encontre ?
– Envisagez-vous de prendre d’autres mesures concrètes et immédiates afin de protéger les policiers lanceurs d’alerte ?
D’avance je vous remercie pour vos réponses,
Julie Chanson
Réponse de la Ministre Verlinden du 28/04/2021
J’ai eu connaissance de la grève de la faim entamée par M. Claessens, mais je soulignerai tout d’abord que pour juger une telle situation, l’on ne peut partir d’une seule déclaration parce qu’il faut trouver l’information complète et fiable.
En l’espèce, les faits du25juillet2015 dénoncés par l’intéressé ont, selon l’officier responsable du contrôle interne de la police fédérale à l’époque, donné lieu à une plainte déposée par M.Claessens. Celle-ci a conduit à la suspension provisoire des policiers incriminés durant le temps de l’enquête, qui démontrera, déclarations de la victime alléguées, certificat médical et témoignages à l’appui, que la personne arrêtée n’avait pas fait l’objet de violences illégitimes.
En ce qui concerne la procédure disciplinaire, et pour rappel, la loi disciplinaire applicable aux membres des services de police ne permet pas aux autorités disciplinaires de divulguer les faits et documents dont ils ont eu connaissance en cette qualité.
N’étant en outre pas l’autorité disciplinaire de l’intéressé, je n’ai pas accès à ces informations.
Face à cette situation, je me dois de laisser la procédure se poursuivre telle qu’elle est prévue légalement. Il appartient à la défense et, le cas échéant, au conseil de discipline voire au Conseil d’État d’exercer le contrôle légal dont ils sont investis en la matière.
À ma connaissance, les faits dénoncés par M. Claessens sont relatifs à ce qu’il perçoit comme étant des dysfonctionnements graves, voire des délits commis au sein des services de police ou par des membres des services de police. Des procédures judiciaires et administratives ont été lancées sur l’initiative de M. Claessens auprès des tribunaux, selon ses dires, des organes de contrôle, tant à l’Inspection générale de la police fédérale et de la police locale (AIG) qu’au ComitéP, et auprès de quasi toutes les instances nationales, jusqu’à la Chambre des représentants et même certaines instances internationales comme le Groupe d’États contre la corruption (GRECO).
À l’exception d’éventuels dossiers toujours en cours, l’analyse multidisciplinaire des procédures de dénonciation qu’il a intentées ne semble pas avoir pu en démontrer le bien-fondé. Je peux vous assurer de façon plus générale que chaque dénonciation crédible est analysée. Les enquêtes nécessaires sont menées sur les plans pénal et disciplinaire et sont, le cas échéant, traduites en termes de condamnation pénale et de sanction disciplinaire.
Quant aux procédures en cours, je ne puis m’exprimer à propos de leurs conclusions, mais aucun élément concret ne me permet de douter de leur sérieux et de leur légitimité. Mon message envers les lanceurs d’alerte restant positif, je ne peux que les encourager à continuer à dénoncer tout abus aussi insignifiant soit-il. Mais je les invite ensuite à se conformer à la décision finale et au jugement définitif pris par les autorités compétentes en la matière. Je ne dispose en outre d’aucun élément me permettant d’affirmer que les autorités compétentes, hiérarchiques ou non, ne prendraient pas leurs responsabilités en la matière.
Quant à votre question sur d’éventuelles mesures disciplinaires, tout dépend bien entendu de la nature et de la sévérité de l’abus et des circonstances de la cause. Mais, pour autant que l’abus soit établi et imputable en droit, il peut donner lieu à l’une des sanctions disciplinaires les plus lourdes, à savoir la démission d’office.
Enfin, je n’ai pas d’information concernant des mesures de rétorsion qui auraient été prises à l’encontre de lanceurs d’alerte au sein de la police ou concernant la protection éventuelle d’auteurs potentiels. Au contraire, certains dossiers plaident pour la thèse inverse. Je ne vois pas la nécessité d’établir une ligne verte supplémentaire, puisque les organes de contrôle en place, tant l’AIG que le ComitéP, peuvent déjà légalement traiter les dénonciations anonymes et sont en outre tenus de garantir l’anonymat sollicité.
Madame Chanson, pour ce qui concerne votre question relative au service de confiance et d’écoute, je vous renvoie à mes réponses en commission du 24février dernier à la question parlementaire n°55014488C de M.Aousti portant sur le même objet.
Je vous confirme que des policiers ont déjà eu recours à ce service d’intégrité et que le système de signalement interne est en cours de développement. Cependant, je ne dispose pas encore des premières conclusions. Il me semble donc trop tôt pour décréter que ce système de signalement interne est inefficace.
Outre cette composante interne, la loi prévoit une composante externe, notamment le ComitéP, à laquelle les membres du personnel qui ne souhaitent pas procéder à une dénonciation en interne peuvent s’adresser.
La durée des procédures internes dépend des délais légaux établis pour chacune de ces procédures. Elles sont susceptibles d’être allongées en fonction des recours introduits par les personnes concernées ainsi que des devoirs à réaliser. Il en va de même pour ce qui concerne les procédures pénales auprès des organes de contrôle. Pour le reste, je vous renvoie vers ces instances.
Pour ce qui concerne l’état d’avancement de la révision de l’arrêté royal du 9octobre2014, un groupe de travail issu du SPFBOSA auquel participe la police fédérale a terminé la version néerlandaise. Il est ici question à la fois d’une version consolidée et d’une version modifiée. Ces textes sont actuellement soumis à la hiérarchie du SPFBOSA. Ils seront probablement transmis à l’Inspection des finances à la mi-mai.
Les membres du personnel de la police fédérale peuvent déjà signaler une atteinte suspectée à l’intégrité au service Intégrité. Ce service invite le membre du personnel à participer à un entretien pour discuter de la situation des possibilités du signaleur. L’une de ces possibilités est une dénonciation à la composante externe qui peut offrir, au signaleur, une protection contre des représailles, si nécessaire.
À l’avenir le service Intégrité mettra en place un réseau de personnes de confiance d’intégrité au sein de la police fédérale afin de développer davantage la composante interne du système de dénonciation.
Il n’entre pas dans les missions du service Stressteam d’intervenir dans une quelconque procédure interne ou externe de la police. Ces intervenants accompagnent et orientent les membres du personnel qui entameraient des démarches, mais celles-ci ne dépendent pas d’eux. À l’heure actuelle, il n’est pas question d’augmenter le cadre de ce service Stressteam de la police fédérale, mais bien de garantir que le cadre actuel soit complet.